Il y a plus de 20 ans...
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Le Mont Blanc |
En 1985 j'avais juste 40 ans, et l'envie de réaliser un vieux rêve un peu fou. Avaler un Tour du Mont Blanc en quatre jours, n’est ni une prouesse, ni une promenade de santé : cette randonnée n’est plus ce qu’elle était à l’époque héroïque de H.B de Saussures, Balmat ou Topffer. En ce temps là c’était toute une expédition. Aujourd’hui on en fait le tour en short, et en quelques dizaines d’heures, en marchant d’un bon pas. J’en ai vu qui faisaient le Tour du Mont Blanc en une journée en courant, déjà dans les années 80! |
15 août
Dénivellations |
Positives : 3053 mètres
Négatives : 1911 mètres |
1ère étape : Les Houches - Refuge Elisabetta Soldini Heures au départ et à l'arrivée |
Départ des Houches à Col de Voza à Les Contamines à pause - départ N.D de la Gorge à Col du Bonhomme à pause - départ Col Croix du Bonhomme à Col des Fours à Ville des Glaciers à Col de la Seigne à pause - départ Refuge Elisabetta Soldini à |
4 h 15 6 h 00 8 h 40 9 h 05 9 h 50 12 h 25 12 h 45 13 h 25 13 h 55 15 h 20 17 h 25 17 h 35 18 h 25 |
Il est 3 h 15 du matin ce 15 Août aux Houches, lorsque je prends une douche dès mon réveil. Ensuite, assis sur le lit je grignote des fruits secs, et puis je masse mes jambes avec une pommade revitalisante.
J'avais déjà fait ce tour tranquillement quelques années auparavant et j'en connaissais bien certains passages.
Les nuits sont toujours magiques en montagne.
Dans un de ces contes, Alphonse Daudet disait à propos du Lubéron :
" Ici nous vivons plus près des étoiles,
et nous savons ce qui s’y passe mieux que les gens de la plaine ".
Ce matin, j’ai une bien piètre allure avec ma lampe de poche qui éclaire tout juste à quatre ou cinq mètres, alors qu’au dessus de moi, une constellation d’étoiles, est semblable à un voile de mariée tant elles sont serrées, et leur luminosité pourrait sans doute m‘éclairer, si par moments les feuillages ne venaient les cacher.
Des bruits divers troublent le silence : des branches craquent, des oiseaux s’envolent d’un taillis ; et puis il y a toujours ces visions nocturnes : “ mon ombre devance ma lampe ! "
Il y a aussi des ombres furtives. Là je ne rêve pas, car un chien hurlant me poursuit, et comme je n’ai pas cherché à fuir, il n’a pas essayé de m’agresser.
Au col de Voza, des tentes de camping sont dressées ; quelques jeunes finissent leur nuit enveloppés dans leur duvet, justement à la belle étoile. Le ciel perd sa tonalité sombre, ses lumières s’éteignent. La pâle clarté du jour fait suite à la nuit.
En passant au Champel à proximité d’une basse-cour, les poules, les coqs, les canards s’éveillent dans un tintamarre indescriptible. Cette fois ci je ne me suis pas trompé de chemin, et j’arrive aux Contamines avec le soleil qui commence à montrer ses rayons par dessus le Dôme des Miages. Profitant de cette tiédeur matinale, je m’installe à la terrasse du Grizzli face à l’église, pour prendre un petit déjeuner.
Les alpages de Balme |
Ce chemin jusqu’au col du Bonhomme n’a plus de secret pour moi. A Notre Dame de la Gorge, dont c’est la fête aujourd’hui, on prépare la messe en plein air. Il faut croire que le petit déjeuner m’a apporté les éléments essentiels à une dépense d’énergie, car je grimpe jusqu'à la Balme sans problème, mais après, les sucres ayant été éliminés aussi vite que je suis monté, je ressens un coup de pompe juste avant le col. |
Montée au col du Bonhomme |
Le temps d’une pause, chocolat, pain camembert, abricots secs, raisin secs, pomme, et je reprends la direction de la Croix du Bonhomme, puis du col des Fours..
le col de la Croix du Bonhomme et le refuge |
Montée au col des Fours |
col des Fours et l'Aiguille des Glaciers |
Le torrent des Fours
Le ciel s’assombrit. En passant à la “ ville des glaciers ” : hameau de quelques chalets d’alpages, des grondements se font entendre. Des gouttes tombent vers l’Italie. Il faut sortir le K-way car la pluie redouble : cela ne durera pas, et en arrivant au col de la Seigne, (frontière italienne) le ciel est à nouveau presque bleu, et je peux voir le Mont Blanc entouré d’un gros nuage.
Au col de la Seigne, vue sur le Mont Blanc dans les nuages |
Au col de la Seigne : entre France et Italie |
Reste à descendre sur le versant italien en direction du refuge Elisabetta Soldini, rempli de touristes italiens venus d’Aoste ou de Courmayeur en voitures pour passer la nuit ici.
Malheureusement, il n‘y a aucun randonneur dans ce refuge.
16 août
Dénivellations |
Positives : 1688 mètres
Négatives : 2129 mètres |
2ème étape : Refuge Elisabetta Soldini à Champex Heures au départ et à l'arrivée |
Départ du refuge E. Soldini à Entrèves à Pause - départ Planpincieux à Pause - départ Lavachey à Arnuva à Pause - départ Gd col Ferret à Pause - départ La Fouly à Pause - départ Arrivé à Champex à |
5 h 35 7 h 25 8 h 35 9 h 15 9 h 30 10 h 20 11 h 10 11 h 35 13 h 10 13 h 25 15 h 20 15 h 30 18 h 30 |
Jusqu'à ce jour, je pensais que les orages en montagne n’éclataient que le soir, ou tout au moins en fin d’après midi. Je ne sais au nom de quel grand principe naturel, les orages auraient été interdits tôt le matin!
Une fois quitté le refuge Elisabetta, je sentais bien que l’air avait quelque chose de pesant, ce n’était pas clair : je n’y voyais pas grand chose malgré ma lampe à la main, et je trouvais que le jour tardait à se lever, bien qu’une couleur jaunâtre tirant sur l’orangé se dessinait à l’est. Ce qui était inquiétant, c’était cette noirceur derrière moi qui me suivait. Ce matin il n’y avait aucune étoile dans le ciel.
Depuis le refuge Elisabetta, je ne faisais que me répéter : Non il ne pleuvra pas. Ce n’est pas possible qu’il pleuve ! ” “ Il ne peut pas pleuvoir sur cette route traversant le jardin de Miage ”... on se rassure comme on peut ! |
Passage au lac de Combal avant l'orage. |
Et bien justement les premiers grondements se font entendre, et tout à coup la pluie arrive par petites gouttes d’abord ; je sors mon poncho du sac à dos, et voilà que le vent devient plus violent, les gouttes plus grosses, et plus serrées, en signe de solidarité. Tout cela n’est rien : le plus impressionnant arrive : la foudre ! Les éclairs dans tous les sens au milieu de la forêt, et le tonnerre qui éclate et résonne dans ce fond de Val Veni.
Je n'aime pas du tout çà. Je ne peux que constater l’hostilité de la nature ce matin.
Hier, en partant des Houches tout était calme et beau. Ici la colère monte : pourquoi cet éclatement sur ce versant italien ? je ne verrai rien de Peuterey, du Freney et de la Brenva.
Les orages en montagne sont toujours impressionnants.
A plus forte raison ici au pied du Mont blanc, et de ses parois verticales qui surplombent le val, et les glaces de la Brenva jusqu'à la route au milieu d’une forêt de conifères, des torrents, des cascades, des lacs, et des pierriers tous azimuts, enfin tout ce qu’il faut pour attirer la foudre ; alors on pense avoir toutes les raisons du monde pour courir vite, le plus loin possible. Mais cela est parfaitement inutile, je me contente de marcher déjà difficilement car la pluie me gêne.
Au milieu de ce tumulte, une voiture roule lentement derrière moi. Arrivé à ma hauteur, le chauffeur me fait un signe, comme pour demander si je vais dans sa direction. Je dis oui de la tête...
Enfin, je me sens à l’abri. Il y a trois italiens.
Nous roulons, et l'orage continue de s’abattre dans une obscurité totale.
Et dire que le soleil commence à se lever par dessus toute cette masse de nuages noirs.
En dix minutes nous sommes à Entrèves, dans un café face au téléphérique de la Pointe Hellbronner.
Les trois italiens voulaient faire la Tour Ronde ce matin !
Je crois qu’ils retourneront se coucher après avoir pris leur café avec moi.
Bien entendu le bistrot et plein à craquer : des alpinistes, des randonneurs, des skieurs, des moniteurs de Courmayeur, tous ont été surpris par l’orage, et attendent l’accalmie qui permettra au téléphérique de repartir.
J’ai le temps de boire deux cafés, et de manger trois croissants avec les italiens. Je commence à piétiner sur place, et les idées de défaite et de pessimisme traversent mon esprit. Si cela dure, je serais obligé de rester ici ce soir, et mon Tour du Mont Blanc sera terminé. Ce temps n'était pas prévu pour ce week end du 15 août.
La petite serveuse remarque mon impatience ; les italiens sont calmes.
Voila près d'une heure que nous sommes ici à attendre, lorsque je ne sais par quel miracle, petit à petit le ciel devient moins sombre, la pluie moins violente. Encore quelques instants, et l’on peut voir au loin, là où tout a éclaté, vers le col de la Seigne, les nuages se déchirent. Plusieurs épaisseurs allant du noir au blanc, en passant par les gris, se chevauchent.
Nous allons pouvoir y aller ?...
Je change mes chaussures et chaussettes trempées : j’étais parti du refuge Elisabetta en jogging.
Le temps que j'aurais mis pour venir à pied, je l’ai utilisé à me restaurer à l’abri derrière les carreaux. En fin de compte je n’ai pas perdu grand chose, et je suis plutôt satisfait de cette déduction.
Le bleu gagne du terrain en s’avançant jusqu'à nous, à tel point que le soleil qui n’avait pas voulu montrer le bout de ses rayons ce matin, maintenant ne peut plus se cacher derrière les couvertures nuageuses qui disparaissent.
En un instant, tout le monde est hors du café. On crie, on s’interpelle avec des grands signes, on s’agite. Le téléphérique est en route, la plupart s’y précipitent. Les paires de skis passent de mains en mains.
Les arbres égouttent leurs feuilles. Je salue mes trois alpinistes italiens ; ils est maintenant trop tard pour eux : la Tour Ronde sera pour une autre fois. Il n’est pas trop tard pour moi, je peux encore aller jusqu’à Champex en Suisse, d’ici ce soir. Mais il ne faut plus perdre de temps !
Bien que la route soit goudronnée, la circulation n’est pas importante et je trouve ce parcours plutôt agréable. Petite pause à Planpincieux, et au lieu dit : Pra-sec, la route est complètement inondée sur une centaine de mètres, et les abords transformés en marécage.
Les Grandes Jorasses, verant italien |
Lavachey, je suis face au versant italien des Grandes Jorasses : imposante paroi qui écrase tout !... A Arnuva, petite montée en direction du col Ferret. Moment d’hésitation ? le petit ou le grand ? Je ne connais pas le petit, plus raide, et préfère suivre l’itinéraire normal par le Grand col Ferret. J’y arrive en une heure trente cinq !
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Au col Ferret, entre Italie et Suisse |
le glacier de Prè de Bar.
Le glacier de Pré de Bar et sa langue terminale toujours aussi imposante, chute du Mont Dolent, point de rencontre frontalier entre la France, l’Italie et la Suisse. La descente sur l’autre versant du col est longue. Je passe au hameau de Ferret, puis à La Fouly. Il n’y a plus personne sur ce sentier forestier. Praz de Fort, Issert, ces villages suisses sont tranquilles.
Un dernier raidillon à travers bois avant d’atteindre Champex et son lac, que certains considèrent comme désuet : moi j’y ai toujours trouvé calme et sérénité.
Etape bienfaisante dans un gîte confortable nommé :
"CHALET EN PLEIN AIR"
Le soir, le repas est servi sur une grande table avec d’autres randonneurs, et l’on s’interroge mutuellement sur les étapes précédentes : on me demande d’où je viens.
"du refuge Elisabetta Soldini".
Tout le monde me regarde avec des yeux ronds. L’un manque de s’étouffer, et la petite brune aux pommettes rouges à l’autre bout, cligne des yeux d’un air interrogateur.
Je me sens soudain : marginal.
Les autres ont mis trois jours pour faire la même chose !
Ce soir là j’ai un mal fou à trouver le sommeil, et le lendemain matin en quittant Champex vers 5 h 30, je me sens bien tout seul !
17 août
Dénivellations |
Positives : 2698 mètres
Négatives : 2050 mètres |
3ème étape : de Champex à La Flégère Heures au départ et à l'arrivée |
Départ de Champex à Val d'Arpettaz à Pause - départ Fenêtre d'Arpette à Pause - départ Buvette du glacier de Trient à Chalets des Grands à Col de Balme à Pause - départ Aiguille des Posettes à Arrivé à La Flégère à |
5 h 35 6 h 05 6 h 45 9 h 05 9 h 25 11 h 11 h 45 13 h 05 13 h 30 14 h 30 18 h 10 |
Le brouillard est dense, la lampe de poche est faible ; je fais une halte au Relais du Val d'Arpettaz, où l'on me sert un solide petit déjeuner composé de café au lait, pain complet, beurre, confiture et miel. Le tout en abondance.
Des randonneurs ayant passés la nuit ici sont déjà debout et s'installent aussi.
La brume descend de plus en plus, et lorsque je mets le nez dehors, je n’y vois plus rien ! Cependant, en remontant le Val le jour se lève, et arrivé à la fenêtre d’Arpette, le bleu du ciel est au dessus de moi, et une mer de nuages sous mes pieds !
Instant magique face aux Aiguilles des Grands et le glacier de Trient.
A la fenêtre d'Arpette
Le glacier de Trient |
J’adore ce passage : la montée assez raide exposée au levant, au milieu des blocs. Attention il n'y a plus de torrents, ni sources dès les premiers éboulis franchis, mais cette vue superbe, arrivé à la fenêtre… La descente chaotique n’en finie plus, sur l’autre versant. C’est la difficulté de ce Tour qui perdrait de son intérêt si on évitait ce passage : mais pourquoi l’éviter? Le sentier par Bovine est plus long et plus fastidieux, mais plus praticable par mauvais temps.
Cette fenêtre d’Arpette est vraiment une clé dans ce Tour.
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La buvette de Trient est toujours à moitié délabrée depuis l’avalanche de 1978.
Après être passé au col de Balme dans le brouillard le plus complet, je me suis retrouvé à l’Aiguillette des Posettes, et ensuite dans une descente qui n’a rien à voir avec le sentier du Tour ; ceci par inattention. Enfin je rejoins la route du col des Montets, près de Tréléchamp, où le sentier passe en réalité.
Le Mont Blanc se dégage des nuages.
l'Aiguillette d'Argentière |
La fatigue commence à se faire sentir, mais je n’ai pas envie de m’arrêter ici à Argentière. La tentation d’un hôtel confortable est pourtant grande! Cependant il n’est que 16 heures et je décide de continuer.
La fin de journée est rude, après cette longue étape : il faut franchir les échelles, et les mains courantes par l'aiguillette d'Argentière! |
Argentière, et Montroc vus de l'Aiguillette |
Une fois arrivé aux chalets de Cheserys, il me suffit de suivre le chemin en pente douce jusqu’à la Flégère avec le fantastique panorama à gauche de la chaîne du Mont Blanc.
L'effort de toute la journée est récompensé! Je n'ai plus envie de bouger d'ici, et je resterais bien assis sur un rocher jusqu'aux prochaines étoiles…
18 août
Dénivellations |
Positives : 714 mètres
Négatives : 1581 mètres |
4ème étape : de La Flégère aux Houches Heures au départ et à l'arrivée |
Départ de La Flégère à Planpraz à Col du Brévent à Pause - départ Le Brévent à Pause - départ Refuge de Bellachat à Pause - départ Arrivé aux Houches à |
6 h 10 7 h 35 8 h 20 8 h 30 9 h 10 9 h 25 10 h 10 10 h 20 12 h 00 |
Ce matin en me levant à 5 h 30 je savais que cette dernière étape serait la plus courte.
Le sentier balcon de la Flégère est vraiment une merveille, et j’ai la chance d’assister à chaque minute au coloriage progressivement rosé de tous les sommets de la chaîne.
Le toit de l’Europe reçoit les premiers rayons de soleil ; hier soir j'assistais aux dernières lueurs.
En marchant lentement pour mieux apprécier ce spectacle, la lumière devient rayonnante, et plus chaude. Une nappe de brouillard se forme en envahissant très vite la vallée.
Après avoir franchi le col du Brévent, et grimpé par les blocs, j’arrive sans difficulté au sommet du Brévent : belvédère incomparable sur le Mont Blanc juste en face, avec tout ses sommets autour, et ses glaciers chaotiques coulants presque jusqu’aux premières habitations, tel que le glacier des Bossons, que l’on a l’impression de toucher du doigt, tant les distances sont écrasées.
Ce belvédère offre aussi un panorama exceptionnel sur la chaîne des Fiz toute proche, et sur les Aiguilles Rouges.
Quelle joie de passer seul le matin très tôt sur ce G.R®, pendant que les touristes finissent leur nuit dans la vallée, où la brume se dissipe peu à peu!
L'Aiguille Verte |
Les glaciers des Bossons et de Taconnaz vu de Bellachat |
Le sentier conduit à la statue du Christ Roi, visible de loin. La descente est très très longue depuis le Brévent, mais assez agréable parmi les rhododendrons, et les sapins. On longe la clôture de la réserve d’animaux de Merlet, les bruits de la civilisation deviennent plus présents.
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Il n’est même pas midi, lorsque j’arrive aux Houches.
Je pensais mettre plus de temps.
L’après midi, détente à la piscine en plein air de St Gervais, et dans la soirée, sur la place principale, je participe à la confection d’une gigantesque soupe à l’oignon préparée avec deux mille litres d’eau, et plus de 300 kg d’oignons!....